Faut-il sanctionner l’excès d’engagement ?

tacledulin

Durant le match de barrage entre le Racing-Métro 92 et le Stade Toulousain, une action nous a interpellés. Comment réagir lorsque Brice Dulin, emporté par sa fougue, rate son tacle et démolit la cheville de l’ouvreur stadiste (lui occasionnant — on l’apprendra plus tard — une fracture) ? Évidemment, son geste n’était pas volontaire : c’est le ballon qui était visé ; par conséquent, l’arbitre n’a pas jugé bon d’avertir le joueur. Peut-on lui en tenir rigueur, alors que ce type de contact n’appelle pas, selon les règles, une sanction ? Tentons de voir.

Une notion qui n’existe pas au rugby

Les gestes représentant une menace pour l’intégrité physique des joueurs sont répertoriés en deux catégories.

● le jeu dangereux : il s’agit de tous les actes effectués sur l’homme dans le cours du jeu, qui contreviennent aux règles. En principe, leur caractère volontaire ou non ne doit pas influencer la décision. Par exemple, les plaquages par retournement, à retardement, ou sur un joueur en l’air… sont considérés comme du jeu dangereux. Pour ce genre de faute, l’éventail de sanctions va de la simple pénalité au carton rouge.
● les brutalités : ce sont des gestes délibérés visant à faire mal. Il peut s’agir d’un coup de poing, d’une morsure, d’un stamping… Le plus souvent, il est recommandé de les sanctionner par un carton rouge.

Seulement, il apparaît que l’imprudence ne correspond à aucune des deux catégories. Prenons pour exemple le tacle de Brice Dulin : il ne s’agit pas d’une brutalité, et ce geste n’est pas non plus expressément interdit par les règles (d’autant que l’homme n’était pas visé). De plus, aucune consigne ne couvre — à notre connaissance — ce genre de situation. Compte tenu de ce flou juridique, la marche à suivre pour l’arbitre est assez nébuleuse.

Penchons-nous sur les règles du football. Dans ce sport, il est précisé que « l’imprudence, la témérité ou l’excès d’engagement » se doivent d’être sanctionnés. Certes, ces trois termes se rapportent à des fautes différentes et il est peu évident de les transposer au rugby, mais c’est l’esprit de ces règles qui va nous intéresser.

L‘imprudence est définie comme « l’attitude d’un joueur qui charge un adversaire sans attention ni égard, ou qui agit sans précaution ». Elle appelle une sanction faible. La témérité est « l’attitude d’un joueur qui agit en ne tenant aucunement compte du caractère dangereux ou des conséquences de son acte pour son adversaire ». Cette fois-ci, la règle préconise un carton jaune. Enfin, l’excès d’engagement, passible d’un carton rouge, « désigne l’attitude d’un joueur qui fait un usage excessif de la force au risque de blesser son adversaire ».
Notez que pour quiconque n’a pas une connaissance pointue des lois du jeu — ce qui est notre cas —, il est difficile de faire le distinguo entre ces trois définitions… mais soyez certains que pour un arbitre de foot, ces notions renvoient à des fautes bien précises.

Que voulons-nous pour le rugby ? Plusieurs points de vue s’affrontent. D’une part, ceux qui considèrent que ces gestes font partie du jeu et ne doivent pas faire l’objet d’une quelconque sanction — puisqu’ils sont totalement involontaires. D’autre part, ceux qui plaident en faveur d’une responsabilité du joueur, et qui estiment que ce dernier se doit d’être sanctionné s’il fait preuve d’imprudence (d’une simple pénalité, d’un carton jaune, ou plus rarement d’un rouge).

Dans la pratique, c’est aléatoire

À travers plusieurs exemples, nous allons voir que tous les arbitres ne sanctionnent pas ces gestes de la même façon, ce qui entraîne une hétérogénéité évidente des décisions.

En 2013, Paul O’Connell s’est rendu coupable d’un coup de pied dans la tête de Rob Kearney en essayant de botter dans le ballon — cela a été considéré involontaire par les arbitres. Le geste n’a pas été sanctionné, et le joueur a échappé à une citation (le commissaire ayant qualifié ce geste d' »imprudent »…). Dans le registre des coups de pied dans la tête, nous avons également la tentative de rucking de Romain Taofifenua en 2014 contre l’Ulster. Cette fois-ci, pour le même geste, il a été suspendu trois semaines — bien que Wayne Barnes ne l’eût pas sanctionné durant le match. Enfin, lors du dernier Six Nations, Mike Brown a essuyé sa semelle sur le visage de Conor Murray. Pas de pénalité, pas de carton… pas de citation.

Mais il n’est pas question que de coups de pied. En 2013, Napolioni Nalaga a été exclu exclu temporairement et cité par l’ERC pour avoir donné un coup de genou à un adversaire… en courant balle en main. Finalement, la commission de discipline l’a blanchi. La même année, Juan Martin Fernandez Lobbe a donné un coup de genou au demi de mêlée adverse en s’engageant dans un ruck. Carton jaune, mais pas de citation. Last but not least, on se souvient du coup de genou de Pascal Papé dans le dos de Jamie Heaslip : puisque l’arbitre l’a considéré involontaire, le joueur n’a écopé que d’un carton jaune.

Les sanctions (sur le pré ou devant la commission de discipline) sont donc disparates. Alors que certains arbitres jugent en fonction de l’intentionnalité, d’autres sanctionnent l’imprudence et la dangerosité — autrement dit, tout ce qui est susceptible de nuire à l’intégrité physique d’un joueur. Rappelons toutefois que les conséquences d’un acte de jeu déloyal ne doivent pas entrer en ligne de compte dans la sanction ; en effet, ce n’est pas parce qu’un joueur reste étalé au sol après une cravate que la faute mérite un carton jaune.

Une question d’observables

Des directives concernant les duels aériens sont en vigueur depuis quelques saisons ; elles échelonnent les sanctions en fonction de la dangerosité du geste, et préconisent aux arbitres de ne pas tenir compte de son aspect volontaire ou non — celui-ci étant trop sujet à interprétation. Précisons tout d’abord que ces consignes ont été modifiées la saison passée, mais leur essence subsiste dans la prise de décision. L’idée est que le joueur au sol, qu’il joue le ballon ou non, est responsable de son adversaire en l’air. Cela avait toutefois fait des vagues la saison dernière, à la suite du carton rouge infligé à Sergio Parisse lors du derby francilien.

Il en va de même pour les raffuts et autres charges effectuées par le porteur du ballon, qui ne sont que peu règlementées. Il y a quelques saisons, les arbitres étaient peu regardants sur ces gestes ; mais depuis que les charges coude en avant se sont généralisées, ils sont tenus d’être vigilants et n’hésitent plus à sanctionner les gestes dangereux.

Le facteur intentionnalité cède donc peu à peu le pas au facteur dangerosité. Faut-il alors extrapoler ces consignes, et en conclure que n’importe quel geste imprudent, présentant un danger pour la santé d’un adversaire, doit être sanctionné afin de responsabiliser les joueurs ?

En somme, l’arbitre doit-il aller au-delà de la règle ? Nous serions tentés, dans l’absolu, de dire que justement, son premier devoir est de veiller au respect de la sécurité des joueurs avant toute chose, donc avant la règle pure. Cependant, une éventuelle extension impliquerait le risque d’amener encore plus de poids à son rôle, déjà très important (trop ?) dans le rugby moderne.

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3 Commentaires

  1. On commence aussi à voir des raffuts avec la main sur la gorge de l’adversaire, qu’il serait peut-être bon de sanctionner également vu le danger que ça peut représenter.

    Globalement vu l’augmentation de poids et de puissance de l’ensemble des joueurs, être intransigeant sur les gestes dangereux quels qu’ils soient me semble la bonne direction, avant d’avoir un accident grave

  2. Cette situation particulière me parait finalement proche des décisions qu’on a sur d’autres phases de jeu, comme deux joueurs se disputant un ballon en l’air : généralement, même si l’intention de nuire à l’adversaire n’est pas là et que la récupération du ballon et/ou la « faute » (déséquilibre) peut pencher d’un côté ou de l’autre pour de simples questions de forces, timing et positions en jeu entre les deux joueurs, c’est généralement celui qui est un peu en retard (et donc celui qui reste debout) qui est sanctionné.

    Comment se fait-il, de fait, que sur une phase de jeu aux conséquences certes moins dramatiques à maxima mais bien réelles, portant ici intégrité à la santé d’un joueur, le jugement ne suit pas la même logique ?

    Je n’en veut nullement à l’arbitre (surtout si le flou pèse sur la règle) et il est peu probable que Dulin n’ait effectivement cherché à faire mal, mais dans l’esprit il s’agit là d’un geste mal maitrisé qui devrait être pénalisé.

  3. Merci pour cet excellent article, comme d’habitude!

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