Libres de réclamer

Les règlements généraux de la Fédération Française de Rugby, qui détaillent le fonctionnement des compétitions et des rencontres, ont eux aussi connu quelques modifications estivales. Les modalités de dépôt d’une réclamation ont évolué. Quelles sont les implications ?Photo © Christophe Fabries

Certains officiels de match ont découvert avec stupéfaction qu’il serait désormais possible pour un club, lors de la saison à venir, de déposer une réclamation ayant pour objet « une erreur technique commise par l’arbitre » :

Ancien règlementRèglement 2020-2021
Peut déposer une réclamation, à l’occasion d’un match, toute équipe participant à ce match et uniquement contre son adversaire du jour. Une réclamation peut-être déposée :

• contre la qualification d’un ou de plusieurs joueurs de l’équipe adverse ;
• contre l’identité d’un ou plusieurs joueurs de l’équipe adverse ;
• pour tout autre motif, à l’exception des décisions de jeu prises par l’arbitre au cours d’une rencontre, et des faits relevant de la compétence de la Commission de discipline.
Une réclamation peut être déposée par l’une des deux équipes participant à une rencontre, uniquement sur l’un des trois motifs suivants :

• la qualification d’un ou de plusieurs joueurs de l’équipe adverse ;
• l’identité d’un ou plusieurs joueurs de l’équipe adverse ;
une erreur technique commise par l’arbitre dans l’application d’une règle pour laquelle il ne disposait d’aucune marge d’appréciation, sauf si une action corrective d’ores et déjà prévue par les règlements en vigueur a été conformément appliquée ou n’a pas été invoquée par le réclamant en temps utiles.
Aucune réclamation ne peut être retirée une fois qu’elle a été déposée.La réclamation peut être retirée jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué en premier ressort.

Essayons-nous à un peu de formalisme. Deux modifications majeures sont à noter : d’abord, la possibilité de retirer une réclamation, qui sera bienvenue pour désengorger les Commissions de discipline. Il y a fort à parier que de nombreuses procédures engagées sous le coup de l’énervement seront avortées après que les dirigeants de clubs auront eu le temps de retrouver leur sang froid.

Ensuite, une évolution des conditions de recevabilité des réclamations. Le règlement était auparavant exclusif, c’est-à-dire qu’une réclamation pouvait être déposée pour n’importe quel motif, à l’exception des décisions de jeu prises par l’arbitre et des faits susceptibles de valoir un carton rouge. Désormais, le règlement est exhaustif, c’est-à-dire qu’il énonce distinctement les trois seuls motifs recevables. Si les deux premiers n’ont pas bougé, le troisième a de quoi interroger. Voyons ce que ce qu’il implique.

Quelques cas pratiques

Le n°11 de l’équipe A écope d’un carton jaune. Il revient sur le terrain en avance, sans avoir purgé ses 10 minutes d’exclusion temporaire. L’équipe B le signale immédiatement à l’arbitre, qui applique la règle n°3-3 : il fait sortir le joueur avant d’accorder une pénalité à l’équipe B.
À la fin du match, l’équipe B porte réclamation.

Cette situation est sensiblement la même que celle qui a mené à ce que le match de F2 entre Saint-Girons et Auch soit rejoué, il y a quelques mois. Le club d’Auch avait déposé une réclamation, et, curieusement, obtenu gain de cause. Avec le nouveau règlement, cette réclamation aurait été déclarée irrecevable, car « une action corrective prévue par les règlements » était applicable (et en l’occurrence, a été appliquée) durant le match.

À la 80e minute de jeu, le tableau d’affichage indique un score de parité. L’arbitre siffle alors une pénalité pour l’équipe C suite à une faute dans un ruck, face aux poteaux adverses. La pénalité est transformée et la fin du match est sifflée.
L’entraîneur de l’équipe D, s’estimant lésé, porte réclamation au motif que la dernière pénalité n’était pas justifiée.

Dans ces circonstances, la réclamation sera évidemment considérée irrecevable. C’était le cas jusqu’à présent (car les « décisions de jeu » ne pouvaient pas faire l’objet d’une réclamation), ça le restera pour la saison à venir (car les règles du ruck induisent clairement une « marge d’appréciation » pour l’arbitre).

Le n°10 de l’équipe E se fait charger par un joueur adverse après avoir donné un coup de pied dans le jeu courant. L’arbitre sanctionne le geste par une pénalité au point de chute du ballon, mais se trompe sur son emplacement : il la positionne à moins de 15 mètres de la ligne de touche. La pénalité est tentée, mais le ballon heurte le poteau et ne passe pas.
L’équipe E concède finalement le match nul, et décide de porter réclamation.

Cette fois-ci, l’arbitre ne dispose d’aucune marge d’appréciation, il s’est purement et simplement trompé. La saison passée, cette réclamation aurait été jugée irrecevable, puisque portant sur une faute dans le jeu. Cependant, le nouveau règlement semble créer une brèche. Peut-on parler d’erreur technique ? Y a-t-il un risque que des clubs profitent de cette porte ouverte ?

Différents types d’erreurs

Entre les erreurs d’arbitrage dans le jeu et les erreurs techniques, la frontière apparaît ténue. Les premières peuvent se définir comme les décisions prises par l’arbitre sur le terrain et directement relatives au jeu, c’est-à-dire les sanctions (ou les absences de sanction) pour des hors-jeux, des en-avants… Alors, que désignent les erreurs techniques ? Elles semblent englober les erreurs de l’arbitre liées aux remplacements, à la gestion des joueurs de première ligne, à la durée des cartons… En somme, ce qui relève, de près ou de loin, des allées et venues des joueurs sur le terrain. Plus largement, cette catégorie inclut ce que l’on appelle les erreurs administratives.

Cette distinction est certes approximative, mais elle demeure opérante. Ce nouveau règlement ne devrait donc pas affaiblir l’autorité des officiels de match. Le dernier cas pratique sur lequel nous nous interrogions ne relève pas d’une erreur technique de l’arbitre, mais bien d’une faute dans le jeu, et ne peut donc pas constituer un motif recevable de réclamation. Il en va de même pour un passage en touche, pour un touché à terre…

Néanmoins, l’on avait bien des raisons de se méfier. Ces dernières saisons, la Commission de discipline de la FFR a parfois pris des décisions pour le moins curieuses. Des matchs ont été rejoués à la suite de fautes procédurales mineures de la part des arbitres (comme en 2018 lors de la demi-finale de F2 féminine entre Périgueux et Joué-les-Tours), voire inexistantes (comme dans le cas du match entre Saint-Girons et Auch). Ces recours ont conduit à un début de désacralisation de la fonction arbitrale. Dès lors, comment analyser cette évolution règlementaire ?

Un dernier ajout dans les textes est à souligner pour mieux saisir le sens de cette réforme. Bien entendu, ce n’est pas parce qu’une réclamation est recevable qu’elle doit nécessairement aboutir : c’est à la Commission de délibérer et de déterminer si elle est fondée ou non. Ainsi, les nouveaux règlements généraux précisent que la Commission doit rejeter la réclamation « si elle estime que la situation invoquée par le réclamant n’a manifestement pas eu d’incidence sur l’évolution du score de la rencontre ». Cette mention semble introduire une nouvelle fois une dimension limitative.

Il apparaît donc qu’il y a une volonté de la FFR de réduire le nombre de recours, en agissant sur plusieurs volets. Si la réforme peut faire croire à une fragilisation de la fonction d’arbitre, tout indique qu’elle va plutôt dans le sens contraire, en délimitant plus précisément le domaine de recevabilité des réclamations et en rappelant aux Commissions que seules les plus pertinentes doivent aboutir. Au grand dam, sans doute, des clubs procéduriers.

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